Cette citation, par sa formulation à la fois simple et suggestive, nous invite à une méditation profonde sur la condition humaine et sur notre place au sein du cosmos. En opposant la finitude linéaire de l’existence humaine à l’infinité cyclique des mouvements de l’univers, elle met en lumière la tension fondamentale qui habite notre rapport au temps et à l’être. C’est toute la singularité paradoxale de notre destin d’hommes qui se trouve ainsi exprimée : celui d’êtres finis, inscrits dans une temporalité irréversible, mais habités par l’intuition ou la nostalgie d’une éternité qui les dépasse.
Pour comprendre la portée de cette pensée, il faut d’abord s’arrêter sur cette idée d’un « cheminement linéaire fini » qui caractériserait la vie humaine. Il y a dans cette expression quelque chose qui renvoie à l’expérience la plus immédiate et la plus intime que nous avons de notre existence : celle d’un parcours singulier, jalonné d’étapes et d’événements uniques, qui nous mène inexorablement de la naissance à la mort. Contrairement à la répétition cyclique des phénomènes naturels, notre vie nous apparaît comme une aventure irréversible, une trajectoire qui se déroule de manière linéaire dans le temps, sans possibilité de retour en arrière.
Cette conscience de la linéarité et de la finitude de notre existence est au cœur de notre condition d’êtres temporels. Nous savons que notre vie a un début et une fin, qu’elle est bornée par ces deux horizons indépassables que sont notre naissance et notre mort. Entre ces deux moments, nous avons à tracer notre propre chemin, à construire le sens de notre histoire personnelle à travers les choix que nous faisons, les rencontres que nous vivons, les épreuves que nous traversons. Et cette histoire, nous savons qu’elle est unique, qu’elle ne se répétera pas, qu’elle constitue la trame singulière et précieuse de notre identité.
Mais cette conscience de notre finitude n’est pas seulement une donnée factuelle, une simple propriété objective de notre être biologique. Elle est aussi et surtout une épreuve existentielle, une source d’angoisse et de questionnement qui habite notre rapport au monde et à nous-mêmes. Comme l’ont montré de nombreux philosophes, de Pascal à Heidegger en passant par Kierkegaard, c’est dans la confrontation à notre condition de « néant abordé au néant », pour reprendre la formule saisissante de Bataille, que se joue le drame de l’existence humaine. Parce que nous savons que nous allons mourir, parce que nous éprouvons dans notre chair la précarité et la fragilité de notre être, nous sommes travaillés par un désir éperdu de sens, par une quête d’absolu qui vient transcender notre finitude.
C’est là qu’intervient le deuxième terme de la citation : l’idée des « cycles récurrents infinis de l’univers » au sein desquels se déroulerait notre cheminement fini. Cette image évoque immédiatement une vision cosmologique traditionnelle, que l’on retrouve dans de nombreuses cultures et traditions spirituelles : celle d’un univers régi par de grands rythmes cycliques, par des mouvements de génération et de corruption qui se répètent à l’infini. Des cycles cosmiques hindous aux écoles présocratiques en passant par la grande année platonicienne, l’idée d’un temps circulaire, d’un éternel retour des mêmes configurations, a profondément imprégné l’imaginaire humain.
Cette vision cyclique de l’univers peut apparaître comme une manière de conjurer l’angoisse de la finitude, de réinscrire notre existence éphémère dans un ordre cosmique qui la dépasse et lui donne sens. Si tout est voué à se répéter éternellement, si notre vie individuelle n’est qu’une infime péripétie au sein de cycles sans fin, alors la mort perd en quelque sorte son aiguillon tragique. Elle n’est plus une disparition absolue, mais un simple passage, un moment transitoire au sein d’un grand mouvement de renaissance et de métamorphose qui nous enveloppe et nous porte.
Mais la citation ne se contente pas d’opposer de manière statique la linéarité humaine et la cyclicité cosmique. Elle suggère un rapport plus subtil et plus dynamique entre ces deux dimensions, en affirmant que notre cheminement fini se déroule « au sein » des cycles infinis de l’univers. Il y a dans cette image quelque chose qui évoque une forme d’inclusion, d’imbrication de notre destin singulier dans un ordre qui nous dépasse. Comme si notre existence, dans son unicité même, participait mystérieusement d’une totalité qui l’englobe et lui donne sens, comme si le fini et l’infini se nouaient secrètement au cœur de notre être.
Cette intuition d’une appartenance ou d’une participation de notre vie finie à une réalité qui la transcende est au cœur de nombreuses expériences spirituelles ou esthétiques. Lorsque nous contemplons la beauté d’un paysage, lorsque nous sommes saisis par une œuvre d’art, lorsque nous vivons un moment d’union mystique, nous avons parfois le sentiment de toucher à quelque chose qui dépasse notre individualité limitée, de communier avec un principe infini qui nous habite et nous porte. Comme si, par-delà notre condition d’êtres séparés et mortels, il y avait en nous une étincelle d’éternité, une part qui échappe au temps et à la mort pour s’unir à la grande respiration du cosmos.
C’est peut-être dans cette expérience paradoxale d’une finitude ouverte sur l’infini que réside le sens le plus profond de notre condition humaine. Nous sommes des êtres finis, marqués par la contingence et la mortalité, mais habités par une aspiration à l’absolu, par un désir d’éternité qui nous pousse sans cesse à nous dépasser. Et c’est précisément parce que nous savons que notre temps est compté, parce que nous éprouvons dans notre chair la précarité de notre être, que nous sommes capables de vivre chaque instant avec une intensité, une ferveur qui leur donne une dimension d’infini.
En ce sens, la conscience de notre finitude n’est pas nécessairement une malédiction ou une condamnation. Elle est aussi ce qui donne à notre existence sa tension, sa vibration unique, en nous incitant à faire de chaque moment, de chaque rencontre, de chaque action, une expérience pleine et entière, tendue vers un au-delà d’elle-même. Parce que nous savons que tout peut finir à chaque instant, nous sommes invités à vivre avec une acuité, une présence qui transfigure le fini en le chargeant d’une intensité infinie.
Mais cette transfiguration du fini par l’infini ne se joue pas seulement dans l’instant vécu. Elle est aussi à l’œuvre dans la manière dont nous inscrivons notre existence dans une trame qui la dépasse, dans les traces que nous laissons, dans les liens que nous tissons, dans les œuvres que nous créons. Même si notre vie est un cheminement linéaire qui a un terme, elle participe, par ce que nous en faisons, par ce que nous léguons, à quelque chose qui la transcende et la prolonge. Que ce soit à travers nos enfants, nos créations, nos actions, nos idées, il y a quelque chose de nous qui échappe à la pure linéarité de notre temps fini pour s’inscrire dans des cycles, des réseaux, des héritages qui nous survivent et nous dépassent.
C’est peut-être là le sens le plus haut de notre vocation humaine : non pas nier ou déplorer notre finitude, mais la transfigurer en la faisant participer, à notre mesure, à l’infinité qui nous entoure et nous appelle. C’est en acceptant lucidement notre condition d’êtres mortels, en consentant à notre « néantisation » pour reprendre le mot de Sartre, que nous pouvons paradoxalement accéder à une forme d’éternité, en faisant de notre vie une œuvre unique qui s’inscrit dans le grand poème du monde.
En définitive, la citation qui nous occupe est une invitation à penser ensemble la finitude et l’infinité qui constituent les deux pôles de notre condition. Elle nous rappelle que nous sommes des êtres de passage, des « mortels » au sens des Grecs, mais que notre cheminement éphémère participe mystérieusement d’un ordre cosmique qui le dépasse. Elle nous incite à accepter lucidement notre destin d’êtres linéaires bornés par la mort, mais pour y tracer une trajectoire unique, intense, qui fasse signe vers l’infini qui nous habite.
C’est dans cette tension féconde entre l’acceptation de nos limites et l’aspiration à les dépasser que se joue peut-être le sens de notre aventure humaine. Non dans la négation désespérée de notre finitude, ni dans la dissolution de notre singularité dans des cycles impersonnels, mais dans l’effort pour faire de notre passage même, dans son unicité fragile et précieuse, une brèche lumineuse ouverte sur l’éternité. À nous d’habiter poétiquement cette condition paradoxale, en faisant de chaque instant de notre cheminement mortel une occasion de toucher à l’infini qui palpite au cœur de notre être fini.