Cette citation, dans sa formulation lapidaire et provocatrice, nous invite à réfléchir sur la question de la souffrance et de la responsabilité, sur le lien complexe entre la plainte et la culpabilité. En suggérant que celui qui s’inflige lui-même une douleur n’est pas en droit de s’en plaindre, elle semble pointer du doigt une forme d’incohérence, voire d’hypocrisie, dans notre rapport à notre propre souffrance.
Le terme d' »autoflagellation » est particulièrement fort et évocateur. Il renvoie à une pratique extrême de mortification corporelle, où l’individu se fouette lui-même dans une visée d’expiation ou de purification spirituelle. C’est un geste de violence retournée contre soi, un choix délibéré de s’infliger une douleur physique intense.
Mais au-delà de cette référence à une pratique religieuse spécifique, l’autoflagellation peut aussi être comprise de manière plus métaphorique, comme une tendance à se faire du mal à soi-même, à se punir ou à se rabaisser. C’est une forme d’autodestruction psychique, où l’on devient son propre bourreau, son propre juge impitoyable.
Cette violence contre soi peut prendre des formes multiples : ruminations mentales négatives, autocritique excessive, sabotage de ses propres réussites, maintien dans des situations ou des relations toxiques… Autant de manières de se faire souffrir, de s’infliger des blessures qui, pour être moins visibles que les plaies d’une flagellation, n’en sont pas moins réelles et douloureuses.
Face à cette souffrance auto-infligée, la réaction spontanée serait de plaindre celui qui l’endure, de compatir à sa douleur. Le gémissement, la plainte, apparaissent comme l’expression naturelle de celui qui souffre, l’appel à l’aide et à la consolation face à un mal qui le dépasse.
Mais la citation vient bousculer cette réaction empathique, en affirmant que celui qui s’autoflagelle n’a pas à gémir. Autrement dit, il n’est pas légitime dans sa plainte, il n’a pas le droit de susciter la pitié ou la compassion, puisque sa souffrance est le fruit de sa propre action, de sa propre volonté.
Il y a dans cette affirmation quelque chose de profondément dérangeant, voire de choquant. Elle semble aller à l’encontre de notre inclination naturelle à compatir à la douleur d’autrui, à reconnaître la souffrance comme un mal en soi, indépendamment de ses causes ou de ses circonstances. Refuser à quelqu’un le droit de gémir sur son propre malheur, n’est-ce pas faire preuve de dureté, d’insensibilité ?
Mais en y regardant de plus près, cette citation ne nie pas la réalité de la souffrance de celui qui s’autoflagelle. Elle ne dit pas que sa douleur est illusoire ou négligeable, ni qu’il doit la taire ou la refouler. Elle interroge plutôt la posture de celui qui, tout en étant l’agent de son propre malheur, se plaint de ce malheur comme s’il lui était extérieur, comme s’il en était la victime innocente et impuissante.
En ce sens, cette phrase est une invitation à un retour sur soi, à un questionnement sur notre part de responsabilité dans ce qui nous fait souffrir. Elle nous exhorte à ne pas nous complaire dans une position de pure victimisation, où nous subissons passivement un mal qui nous arrive de l’extérieur, sans considérer la façon dont nous contribuons nous-mêmes à ce mal.
Bien sûr, reconnaître notre part de responsabilité dans notre souffrance n’est pas chose aisée ni agréable. C’est toujours plus confortable de se poser en victime innocente, de blâmer les autres ou les circonstances pour nos malheurs. Assumer que nous nous infligeons nous-mêmes certaines souffrances, par nos choix, nos attitudes, nos schémas de pensée, c’est risquer de se confronter à un sentiment de culpabilité ou de honte.
Mais c’est peut-être le sens de cette citation mordante : nous pousser dans nos retranchements, nous obliger à regarder en face la façon dont nous participons à notre propre malheur. Non pas pour nous accabler ou nous culpabiliser, mais pour nous responsabiliser, pour nous rendre acteurs de notre vie et de notre bien-être.
Car reconnaître notre part dans ce qui nous fait souffrir, c’est aussi reconnaître notre pouvoir d’agir sur cette souffrance. Si nous nous autoflagellons, littéralement ou métaphoriquement, nous avons aussi la capacité d’arrêter de nous flageller, de poser le fouet de l’autodestruction. Si nous entretenons des pensées, des comportements, des situations qui nous blessent, nous avons aussi la possibilité de les transformer, de nous en libérer.
En ce sens, cette citation est un appel à la lucidité et à l’action. Elle nous invite à sortir d’une posture de lamentation passive, pour endosser une position de sujet responsable et actif. Elle nous encourage à identifier la façon dont nous contribuons à notre propre malheur, non pas pour nous mortifier, mais pour nous donner les moyens de changer ce qui doit l’être.
Cette prise de responsabilité est un processus exigeant et souvent douloureux. Il est toujours plus facile de gémir sur son sort que de le prendre en main, de se complaire dans le confort amer de la plainte plutôt que de s’engager sur le chemin inconfortable du changement. Cesser de s’autoflageller, c’est aussi renoncer aux bénéfices secondaires de cette posture : l’attention, la pitié, la déresponsabilisation…
Mais c’est un renoncement libérateur, qui ouvre la voie à une réappropriation de sa vie et de son bien-être. En cessant de s’autoflageller, on cesse aussi d’être son propre bourreau, son propre geôlier. On se donne la permission d’être plus doux et bienveillant avec soi-même, de s’offrir la compassion et le soin qu’on accorde si généreusement aux autres.
Et cette bienveillance envers soi n’est pas un égoïsme, mais la condition d’une relation plus juste et plus généreuse à autrui. Car celui qui cesse de s’autoflageller cesse aussi d’attendre des autres qu’ils pansent les plaies qu’il s’inflige. Il devient plus autonome émotionnellement, plus responsable de son propre équilibre et de son propre bonheur. Et paradoxalement, c’est cette autonomie qui lui permet de s’ouvrir à de vraies relations de réciprocité, de partage, libérées du poids de la dépendance et de la victimisation.
Ainsi, cette injonction à ne pas gémir quand on s’autoflagelle n’est pas une condamnation sans appel de la souffrance, ni un appel à un stoïcisme inhumain. C’est une invitation à un changement de posture existentielle, à un passage de la plainte impuissante à l’action responsable. C’est un encouragement à devenir l’acteur de sa propre vie, plutôt que le spectateur gémissant de son propre malheur.
Ce message, pour dérangeant qu’il puisse paraître, est en fin de compte profondément optimiste et porteur d’espoir. Car il nous rappelle que nous ne sommes pas les jouets impuissants d’un destin cruel, mais les agents de notre propre existence. Que la source de notre souffrance n’est pas toujours extérieure à nous, et qu’en modifiant notre rapport à nous-mêmes, nous pouvons modifier notre expérience du monde.
Bien sûr, tout n’est pas toujours de notre fait, et il serait abusif et cruel de culpabiliser ceux qui souffrent en leur renvoyant systématiquement la responsabilité de leur malheur. Il y a des souffrances qui nous dépassent, des blessures qui nous sont infligées indépendamment de notre volonté. Et face à ces souffrances-là, la plainte et le gémissement sont non seulement légitimes, mais souvent nécessaires, comme une étape dans le processus de guérison.
Mais la citation que nous méditons n’invalide pas ces souffrances-là. Elle nous invite simplement, avec une certaine rudesse bienveillante, à nous poser la question de notre propre contribution à notre malheur, dans les domaines où nous avons prise. Elle nous appelle à une forme de courage et d’honnêteté envers nous-mêmes, pour identifier et désamorcer nos propres mécanismes d’autoflagellation.
Et en faisant cela, c’est toute notre relation à la souffrance et au bonheur qui peut s’en trouver transformée. En cessant de nous autoflageller, nous nous autorisons à être plus doux et compatissants envers nous-mêmes, à nous traiter avec la même bienveillance que nous accordons aux êtres aimés. Nous apprenons à nous pardonner nos erreurs, à célébrer nos réussites, à prendre soin de ce corps et de cet esprit qui sont les instruments de notre vie.
C’est un chemin de sagesse et de liberté, qui demande de l’introspection, du courage et de la patience. Mais c’est un chemin qui en vaut la peine, car il nous ouvre à une vie plus pleine, plus joyeuse et plus authentique. Une vie où le gémissement né de l’autoflagellation peut laisser place au chant d’une âme libérée, réconciliée avec elle-même.
Puissions-nous donc entendre cette invitation au-delà de sa rudesse apparente, et trouver en nous la force et la douceur de poser le fouet de l’autoflagellation. Puissions-nous apprendre à nous traiter avec la même compassion et le même soin que nous prodiguons aux autres, et à devenir les alliés bienveillants de notre propre épanouissement.
Et ainsi, de gémissement évité en douceur accordée, puissions-nous tracer ce chemin de sagesse et de liberté qui fait de notre vie non plus un fardeau à subir, mais une œuvre à créer, dans la joie d’être enfin en paix avec nous-mêmes. Car c’est dans cette réconciliation intime, dans cette alliance avec notre propre humanité, que se trouve peut-être le secret du vrai bonheur, celui qui ne dépend ni des circonstances extérieures, ni de la pitié d’autrui, mais de la qualité de notre regard et de notre présence à nous-mêmes.