Cette citation, dans sa formulation métaphorique, nous invite à une réflexion profonde sur la nature de l’existence humaine et sur le rapport complexe que nous entretenons avec notre histoire personnelle. En comparant la vie à la construction d’un immeuble, elle suggère que notre identité et notre devenir sont le fruit d’un processus continu d’édification, qui s’appuie sur les bases de notre passé tout en restant fondamentalement inachevé.
L’image de l’immeuble est particulièrement évocatrice et riche de sens. Un immeuble, c’est d’abord une structure verticale, qui s’élève vers le ciel tout en s’ancrant solidement dans le sol. Il y a dans cette verticalité quelque chose qui évoque l’aspiration humaine à la transcendance, cette volonté de se dépasser, de s’arracher à sa condition terrestre pour atteindre une forme de hauteur, de noblesse.
Mais un immeuble, c’est aussi un espace habité, un lieu de vie et d’intimité. C’est le refuge où l’on se construit un chez-soi, où l’on déploie son existence quotidienne avec ses joies et ses peines, ses rêves et ses routines. En ce sens, l’immeuble de notre vie n’est pas qu’une construction abstraite et froide, mais un espace incarné et personnalisé, qui reflète et abrite notre intériorité.
En nous disant que chacun se construit son propre immeuble, la citation souligne la dimension fondamentalement singulière et autonome de l’existence. Nous ne sommes pas logés dans un bâtiment standard et impersonnel, mais dans une structure unique que nous édifions nous-mêmes, à notre mesure et selon nos plans. Notre vie n’est pas un cadre prédéfini que nous remplissons passivement, mais une œuvre originale que nous créons à travers nos choix, nos actes, nos pensées.
Mais cette construction de soi, nous dit la citation, ne se fait pas ex nihilo, à partir de rien. Elle s’élève sur les « fondations de notre passé », sur cette base existentielle que constitue notre histoire personnelle. Nous ne sommes pas des êtres sans racines, des atomes détachés de tout contexte, mais les héritiers et les produits d’un parcours singulier, d’une trame d’expériences et d’influences qui nous ont façonnés.
Nos fondations, ce sont ces événements marquants de notre enfance, ces relations précoces qui ont modelé notre sensibilité et notre rapport au monde. Ce sont ces valeurs, ces croyances, ces schémas de pensée et d’action que nous avons incorporés à travers notre éducation et nos interactions sociales. Ce sont aussi ces blessures, ces manques, ces conflits intérieurs que nous portons comme autant de failles et de cicatrices dans notre psyché.
Tout cela forme le socle sur lequel nous bâtissons notre existence, le terreau dans lequel s’enracine notre devenir. Nous ne pouvons pas faire abstraction de ce passé, l’ignorer ou le nier, car il est la condition même de notre construction présente. C’est en nous appuyant sur lui, en le comprenant et en le dépassant, que nous pouvons nous élever et nous affirmer.
Mais le rapport au passé que dessine la citation n’est pas de l’ordre de la simple détermination mécanique. Les fondations ne sont pas un carcan qui nous enferme et nous limite, mais un point d’appui qui nous permet de nous lancer dans l’existence. Elles sont ce à partir de quoi nous pouvons créer du nouveau, inventer notre propre forme, déployer notre liberté.
Car la construction de notre immeuble de vie n’est pas un processus achevé et figé, mais un chantier permanent et inachevé. C’est ce que souligne la fin de la citation, en affirmant que nous avons « la certitude de ne jamais l’achever ». Notre édification de nous-mêmes n’a pas de terme défini, de point final où nous pourrions nous reposer dans une identité stable et définitive.
Cette inachèvement n’est pas un défaut ou un échec, mais la marque même de notre condition humaine, de notre être-en-devenir. Nous sommes des êtres de projet et de possibilité, toujours tendus vers un avenir à faire advenir. Chaque étage de notre immeuble, chaque période de notre vie, est à la fois un accomplissement et un tremplin vers de nouveaux développements.
Cette ouverture permanente de notre construction identitaire est à la fois exaltante et vertigineuse. Exaltante, car elle fait de notre vie une aventure sans cesse renouvelée, un espace de création et de dépassement de soi. Nous ne sommes pas condamnés à répéter les mêmes schémas, à nous conformer à une essence préétablie, mais libres de nous réinventer à chaque instant, d’ajouter de nouveaux étages à notre édifice intérieur.
Mais cette liberté est aussi vertigineuse, car elle nous confronte à l’incertitude et à la responsabilité de nos choix. Si notre immeuble n’est jamais achevé, c’est aussi parce qu’il n’a pas de plan définitif, de modèle imposé de l’extérieur. C’est à nous qu’il revient de dessiner ses contours, de choisir ses matériaux, de définir sa structure. Et chacune de ces décisions engage notre être tout entier, façonne le sens et la forme de notre existence.
Il y a donc dans cette construction de soi une dimension fondamentalement éthique et existentielle. C’est à travers elle que nous forgeons notre individualité, que nous devenons sujets de notre propre vie. Chaque acte, chaque pensée est comme une pierre que nous ajoutons à notre édifice, qui contribue à définir qui nous sommes et qui nous voulons être.
Et cette édification ne se fait pas dans la solitude et l’isolement, mais dans l’interaction constante avec les autres et avec le monde. Notre immeuble de vie n’est pas une tour d’ivoire détachée de tout contexte, mais une structure ouverte et poreuse, en prise avec son environnement. Nous nous construisons à travers nos rencontres, nos échanges, nos confrontations avec l’altérité qui nous entoure.
Les autres sont à la fois les témoins et les co-constructeurs de notre immeuble. Ils sont ceux qui nous regardent nous élever, qui valident ou contestent nos choix architecturaux. Mais ils sont aussi ceux avec qui nous pouvons collaborer, échanger des idées et des techniques, bâtir des projets communs. La construction de soi n’est pas une compétition solitaire, mais une entreprise fondamentalement dialogique et relationnelle.
Et cette entreprise ne se limite pas à la seule sphère de l’intimité et de la vie privée. En édifiant notre immeuble singulier, nous participons aussi à la construction d’un édifice plus vaste, celui de la société et de la culture humaines. Chacune de nos vies est comme une pierre apportée au grand chantier de l’histoire, une contribution unique à cette œuvre collective qu’est l’humanité en devenir.
Ainsi, la métaphore architecturale que déploie cette citation ouvre des perspectives très riches sur la condition humaine. Elle nous invite à penser notre existence comme une création continue, un processus d’auto-édification qui s’enracine dans notre passé tout en se projetant vers un avenir toujours ouvert. Elle nous rappelle que nous sommes les auteurs et les bâtisseurs de notre propre vie, avec la liberté et la responsabilité que cela implique.
Mais elle nous invite aussi à ne pas concevoir cette construction comme une entreprise solitaire et autarcique. Notre immeuble de vie s’élève au milieu d’autres immeubles, dans une cité humaine dont nous sommes à la fois les habitants et les architectes. Nous nous construisons avec et par les autres, dans un échange constant de matériaux, de techniques, d’inspirations.
En ce sens, cette citation porte un message à la fois d’émancipation et de solidarité. Elle nous encourage à prendre en main notre propre édification, à ne pas nous laisser enfermer dans les plans tout faits et les constructions standardisées. Mais elle nous rappelle aussi notre interdépendance fondamentale, le fait que notre chantier individuel s’inscrit dans un chantier collectif qui le dépasse et le sous-tend.
Puissions-nous donc entendre son appel, et nous faire les architectes conscients et engagés de notre propre existence. Puissions-nous assumer avec courage et lucidité la tâche sans fin de notre auto-construction, en nous appuyant sur notre passé sans nous y laisser enfermer, en visant haut sans perdre de vue nos bases. Puissions-nous faire de notre immeuble de vie une œuvre à la fois singulière et ouverte, en résonance avec celles de nos semblables.
Et ainsi, pierre après pierre, étage après étage, puissions-nous contribuer à édifier cette grande cathédrale humaine dont nous sommes tous les bâtisseurs. Avec la conscience que notre apport, aussi modeste soit-il, a son importance et sa nécessité dans la réalisation de ce projet toujours inachevé. Et que c’est dans cet inachèvement même, dans cette tension permanente vers un sens et une beauté à construire, que réside le sel et la noblesse de notre existence partagée.